Thursday, October 4, 2007

Claude Mourthé

Né dans le Sud-Ouest en 1932. Etudes de Lettres à Toulouse.Fut acteur puis metteur
en scène de théâtre, réalisateur à la radio (59 à 93) et à la télévision (TF1: 1974-1989).
Se consacre aujourd'hui à l'écriture et est producteur sur France-Culture, où il a animé
d'importantes émissions telles que "Un livre, des voix" (jusqu'en 99) et, récemment,
"Marque-Pages" et "Attention à la Littérature". Membre du jury de plusieurs prix lit-
téraires, il assure la critique des premiers romans dans le Magazine Littéraire.

Oeuvres:

La Caméra, roman (Gallimard, 1970), Bourse del Duca
Un pas dans la forêt, roman (Gallimard 1976) Grand Prix du roman de la Société
des Gens de Lettres
Le Temps des Fugues, roman (Gallimard 1982), Lauréat de l'Académie Française
L'Amour parfait (Table Ronde, 1986), lauréat de l'Académie Française
Nuit demeure, poèmes ( Cherche-Midi éditeur, 1994)
La Perspective amoureuse (Rocher, 1996), Grand Prix du Roman de l'Académie
Française
Une mort de théâtre, roman (Julliard, 1994) Prix Renaudot Jr.
Giono l'Italien, essai (Rocher, 1995)
Soudain, l'éternité, roman ( Rocher 1998), Prix Chateaubriand
Dit plus bas, poèmes (Castor Astral, 1999), Prix Apollinaire
Voici l'homme, poèmes (La Bartavelle-Editeur, 2000)

***

L'invisible

Ce serait un silence d'où ne naîtrait le moindre mot, un silence de fond de lac ou
d'infini des astres, un silence de mort si l'on croit que la mort fait silence. Alors,
l'esprit sans relation ni préoccupation prendrait son vol, léger, tentant une sortie
désespérée vers les confins du firmament, là où jamais personne ne va.

*

Alors, nous laisserions nos os en un tas sur le sable : ce seraient nos dépouilles
mais aussi notre poids superflu, le plomb intransigeant qui nous cloue à terre et
empêche nos ailes de battre, notre esprit de fonctionner, vif dans la lumière, no-
tre épopée de se poursuivre, d'un pas allègre, dans les sentiers de la périphrase.

*

Je ne parlerai plus à vous ni à personne des horizons charmeurs où nous nous
promenâmes. L'heure est passée, le monde différent. Nous ne remettrons point
nos pas dans les pas précédents. Nous débarrasserons nos têtes des chimères :
nous ne les avons plus à cela.

Par contre, j'écrirai, scribe inspiré, l'épitomé de l'histoire du monde. Je répon-
drai aux pourquoi sans réponse, je décrirai l'indescriptible, je forgerai les mots
pour exprimer l'inexprimable. Je forcerai les ténèbres. Si je le puis.

*
Je suis le montreur d'ombres, celui qui agite vos silhouettes et trace votre portrait,
celui qui vous invente, aussi. Vous ne me prendrez pas à vos pièges futiles, à vos
gesticulations de miroir.

*
Mais non, la vérité n'est pas belle à entendre.

*

Ombres longilignes, pensée en mouvement, que rien n'interrompra jamais. En les
voyant danser sur la froide réalité du mur ou, plus loin, beaucoup plus loin, sur
les cyprès, ou les arceaux qui bordent les quais, ou encore dans les profondeurs
sombres des eaux, s'interroger sur la réalité de ces ombres. S'interroger.

*

Telle une annonce défraîchie, le dernier mode d'emploi de la vie, l'horaire où ne
subsiste plus qu'une seule ligne. On l'a compris : il suffit maintenant d'attraper
son bagage et, sur le quai venteux, d'attendre sans regret le dernier train du jour.

*

Dans le géométrique espace de nos larmes, nous trouverons la route qui conduit
au chagrin. Celle-ci n'est plus dangereuse, hélas! Aucun péril ne la parsème. Elle
mène sans tourment ni virage inutile à la destination finale, que l'on sait depuis
longtemps un désespoir suprême. Aussi, lorsque nous décampons, pauvres pié-
tons dérisoires, nous devons laisser là notre espérance et aller vers la conclusion.
La conclusion.

D'où notre tentation perpétuelle de dépouiller l'enveloppe mortelle, de l'arracher
tel un vieil eczéma, d'éparpiller aux quatre vents la chair perpétuellement meurtrie,
de rechercher le principe même.

Je ne dis pas, je n'ai pas dit : la solitude.

*

Il y eut jadis un mode dithyrambique pour s'entretenir avec l'univers. Ce n'étaient
que paroles ou soupirs, mais on priait. Ensuite, un vide immense, universel. Et,
balbutiant des phrases qui n'avaient jamais été dites, nous fûmes très décontenan-
cés, soudain.

*

Dès que l'aurore définitive sera là, dès que se seront tus les bruits assourdissants
de la vie et que régnera le grand silence opaque et noir du fond de l'océan, tous nos
désirs secrets seront comblés.

*

Sans autre violence que son orgueil et sans autre témérité que celle du bon droit,
le chevalier allait par les forêts profondes, et il luttait. Toujours, au-devant de lui,
l'inconnu... Cela seul fait trembler.

Cela servirait à quoi, rompre des lances assassines ? Le matin ultra-violet nous sur-
prend devant un café crème. Les pavés sont luisants de quelques pluies africaines.
Nous déambulons, moroses.

Des fêtes de village, aussi, et des aurores calmes sur des étangs.

*

L'indicible

Nous en savions beaucoup trop. En tout, nous eussions dû demeurer des agneaux,
ignares, nous contenter de la flûte du vent et non d'absconce connaissance, abreuver
notre soif aux cascades de la simplicité.

*
Qu'avions-nous donc fait pour que l'on nous transporte par tombereaux entiers, bras
et jambes mêlés ? A vrai dire tellement vidés de toute substance que nous ne pesions
guère plus qu'un soupir et, au moment précis où le rideau de l'horreur se levait, à l'au-
tre bout du monde un champignon plus mortifère encore. Nos vainqueurs...

*
Acte de foi

Et pourtant
cette frêle carcasse
agglomérat de cellules communes
chair et tripes peu de cervelle
tient encore debout

elle renaît

elle a connu peut-être
l'enfance heureuse
l'innocence
la découverte des premiers jours du monde

naguère elle flottait
dans sa poche aquatique
embryon
aimé comme jamais il ne sera ensuite

dans un arc-en-ciel d'espérance

naguère encore elle n'était
qu'un minuscule point oméga
errant à la recherche de son alpha

Extraits de VOICI L'HOMME